Conférences

An ephemeral balance on the"interprétation à quatre mains" of Gyötgy Kurtag's Jatekok

par Helena Bugallo et Amy Williams

 

L’écriture chez G. Kurtág ou la possibilité d’un cratylisme critique 

 

Jean-Paul Olive

 

L’écriture et l’expression semblent se baser cher G. Kurtág sur une confiance distanciée dans les signes, une sorte d’amour à leur égard qui permet de les refonder à chaque fois, alors même que leur sens est toujours plus menacé. Cependant, la force de ce « cratylisme » — qu’on tentera de cerner dans le détail de l’écriture — s’accompagne chez le compositeur hongrois d’une force tout aussi puissante — les textes choisis par lui en témoignent — qui est celle du doute et de l’interrogation, force qui conduit à la transformation des signes vers un horizon inattendu, renouvelant ainsi le concept même d’expression. Une telle transformation passe par l’interprète, celui qui doit incorporer et transmettre l’épaisseur de ce cheminement au travers des signes. On étudiera donc la possibilité et l’action, chez G. Kurtág, de l’existence de ce « cratylisme critique », notamment dans une œuvre comme Hommage à R. Sch.

 

Reworking dans l’œuvre de Kurtág

 

Olivier Cuendet

 

György Kurtág a constamment repris ses œuvres, en particulier les Játékok, pour les récrire, développer, recomposer dans d’autres contextes. Je vais tenter de décrire et analyser ce processus en établissant des liens avec l’ancrage de Kurtág dans l’histoire de la musique et aussi le rapport particulier qu’il entretient entre composition et interprétation. Enfin je vais parler de mon propre travail d’arrangements, orchestrations de certaines œuvres de Kurtág, sur sa demande et avec son autorisation, en prolongation du travail d’interprète de son œuvre.

 

“The Closed Circle is Pure”: Kafka’s “Farewell” in Kurtág’s Hommage à R. Sch.

 

William Kinderman

 

How does one penetrate the fascinating web of meaningful relations characteristic of GyörgyKurtág’s musical style? The central position of the Hommage à R. Sch. among Kurtág’s works harbors a revealing example. The compositional origins of the weighty “Abschied” (“Farewell”) movement that closes the Hommage reach back to 1976, yet the incorporation of the Eusebius version of the second movement—with its silently notated Kafka text “The Closed Circle is Pure”—stems from 1986, a decade later, while the Hommage received its first performance in 1990. The genesis of the Hommage à R. Sch. both frames and intersects with the Kafka Fragments, Kurtág’s magnum opus of the 1980s.

 

Further relations with music of the past—from Guillaume de Machaut to J.S. Bach—enrich this homage to Schumann, with its rich allusions to E.T.A. Hoffmann’s character Johannes Kreisler and to Schumann’s duality of Eusebius and Florestan, a pair of figures derived in turn from writings of Jean Paul Richter, another favorite author of Schumann’s. Especially provocative is the link Kurtág makes between his Hommage and III/6 of the Kafka Fragments, in which the Kafka text “Der begrenzteKreisist rein” (“The closed circle is pure”) is given a vocal setting. The diary entry by Franz Kafka from 30 August 1913 bears a seminal relation to both works, and embraces as well the notion of “Abschied”. Kurtág’s extended psychological meditation and musical development of Kafka’s pithy thoughts reward detailed examination.

 

Interprétations analytiques et interprétations instrumentales dans quelques œuvres de musique de chambre de György Kurtág

 

Marta Grabócz

 

L’œuvre de Kurtág a une particularité : elle résiste considérablement à l’analyse. Les raisons en sont multiples :

 

a) la complexité de l’œuvre (c’est-à-dire la multiplicité de ses couches d’écriture superposées) ;

 

b) son degré très poussé de stylisation des formes, des techniques et des expressions héritées du passé ;

 

c) enfin, le niveau également élevé de son intertextualité (dans le sens précisé plus haut : celui des liens existant entre les œuvres du compositeur lui-même écrites à des moments différents de son parcours).

 

Si l’on considère ne serait-ce qu’un seul mouvement de quarante secondes de György Kurtág, pour pouvoir parler de son articulation interne, il est fortement conseillé de tenir compte des couches et des paramètres d’écriture en grand nombre (nous en avons noté quinze en 2009, comme par exemple la forme ; l’organisation des hauteurs ; l’organisation des périodes [une sorte de succession de questions et réponses] ; le principe évident ou caché d’une mélodie accompagnée ; le principe caché évident de la succession des fonctions classiques [tonique/sous-dominante/dominante] ; etc).

 

Selon le choix des paramètres utilisés, l’interprétation instrumentale peut varier. Je voudrais monter un ou deux exemples (« Jelek », op. 5 et un mouvement de l’op. 4, etc.) où la considération d’un des paramètres au détriment des autres, influe sur les choix interprétatifs.

 

La musique de la sphère privée

 

Federico Monjeau

 

Cette intervention est une réflexion sur la série de pièces à quatre mains et deux pianos publiées dans les huit volumes de Játékok (Jeux). Elle sera focalisée sur les différentes significations que ces pièces, avec leur particulier mélange de fantaisie didactique, de journal, de correspondance, d'autobiographie et de petite encyclopédie, acquièrent dans la vie artistique de György Kurtág.

 

Hommage à Schumann selon Kurtág

 

Florence Fabre

 

Rien n’est dû à un hasard facile dans l’Hommage à R. Sch. op. 15d de György Kurtàg : tout « fait signe ». L’œuvre est presque saturée de références et de signifiances entrecroisées, qu’il s’agit de décrypter, tout en y reconnaissant une organisation cohérente, qui forme un réseau plutôt qu’une juxtaposition de caractère plus ou moins aléatoire ou généalogique. Un va-et-vient entre l’œuvre schumannien et l’Hommage à R.Sch. permet de discerner la densité des liens qui unissent les deux compositeurs.

 

Jouant des images

 

Álvaro Oviedo

 

Comment aborder la profusion d’images que nous offrent les pièces de Kafka-Fragmente ? Ces images nous apparaissent comme des mixtes, des mélanges de perception et de souvenir. Il faut procéder alors à une analyse, au sens bergsonien du terme, pour démêler la pureté de la perception et du souvenir. Par cette voie on toucherait à quelque chose d’avant la formation des images, à un pré-individuel de l’image qui, loin de s’épuiser une fois l’image formée, la constitue sous la forme d’un virtuel qui concerne alors l’interprétation de ces pièces.

 

Le geste avant la note dans la musique (de chambre) de György Kurtág

 

Par Ivan Solano

 

Même si je connaissais sa musique avant, mon premier vrai contact avec Kurtág fut en 2000, à Szombathely dans les Master Class de musique de chambre.

 

Depuis le premier moment où j'ai commencé à jouer pour lui la Sonate pour Clarinette et Piano Op. 120 de Brahms, il m'a fait comprendre l'importance de faire de chaque phrase musicale, de chaque note, de chaque respiration, une "question de vie ou de mort". C'est exactement ceci que Kurtág a imprimé dans ma perception musicale depuis notre rencontre; comme si l'on avait le devoir d'habiter la musique que l'on interprète du début jusqu'à la fin.

 

En rapport à sa musique et quand il est question de l'interpréter, cela semble encore plus évident, puisque dans la musique de Kurtág on a l'impression que notre vie dépendra de chaque son, note ou silence.

 

Cette sensation est étroitement reliée à la façon dont Kurtág travaille (et fait travailler) la musique d'autres compositeurs, mais aussi très clairement à la manière dont il pense sa propre musique, comme il nous disait souvent dans nos premières rencontres: "Ce qui est important en musique, c'est la relation entre les notes, ce qui "existe" entre elles".

 

Kurtág and his Musicians

 

Péter Halász

It is a commonplace concerning Kurtág’s music that a valid interpretation hardly can lack a direct contact to the composer, his verbal advice completing the information notated in the score, the imprint of his musicality. Kurtág’s couching has been often subject of recollections of performers, and also recorded many times. On the other hand Kurtág himself often records in his scores his preferences to some of his performers (besides dedications also in instructions like marcato di Kocsis, Keller-vibrato). My paper deals with this remarkable symbiosis of composer and performers, seeking to define characteristics on an “ideal” Kurtág-musician

« Parler kurtágien » - Réflexions sur le rôle de l´interprète dans la musique de György Kurtág

 

Tobias Bleek |

 

La musique de György Kurtág confronte ses interprètes à un ensemble de défis parfois contradictoires. Elle présuppose d’un côté un interprète « productif » qui assume pleinement la liberté de choix qui lui est laissé dans de nombreuses œuvres. Il y a d’un autre côté peu de compositeurs qui aient des idées aussi précises sur la manière dont leur musique doit être jouée. Il s’agira dans ma communication de mettre en lumière cette tension à l’aide de quelques exemples. Pour ce faire, il est nécessaire de se demander comment il est possible de transmettre « l’essence » de la musique de Kurtág.

 

Inspirations mutuelles et relations vivantes entre compositeur, instrument et l’interprète-enfant (Játékok I-IV de György Kurtág)

 

Krisztina Meyeri

 

Inspirations mutuelles et relations vivantes entre compositeur, instrument et l’interprète-enfant (Játékok I-IV de György Kurtág)

Dans mon intervention, je me concentre sur les relations créatrices qui s’installent au cours de l’étude et du jeu du premier cahier de Játékok de Kurtág entre l’enfant et le piano, puis entre l’interprète-enfant et le compositeur. La partition contient des instructions, allusions et des soi-disant chorégraphies du jeu; le pédagogue les amplifie en les transmettant oralement à l’enfant-joueur, en ajoutant son propre expérience de l’interprétation kurtagienne, créant ainsi une triple tour d’inspirations mutuelles.

Játékok était dès son origine une œuvre contemporaine pédagogique incontournable; plus tard il s’est progressé à des six cahiers de musique, fine, gestuelle et pianistique de son essence. Ces courtes pièces nous proposent des exemples inépuisables d’une essentialité musicale vivante qui s’exprime surtout par deux domaines: par le ressenti du temps scénique et par des gestes appropriés et musicalisés qui demandent une totalité de concentration chez l’enfant-interprète par son corps et par son écoute intérieure. Elles réveillent chez l’interprète et chez l’auditeur un sentiment de vivacité musicale acute, toute de suite accessible. Les gestes musicaux de l’interprète-enfant ré-inspirent plus tard le compositeur lui-même, lui donnant les nouvelles idées de réalisation. Je démontrerai quelques exemples du résultat de cet enrichissement dans la progression de l’œuvre de Játékok : les volumes II-III-IV.

Interpréter ou performer  Kurtàg ?

 

Antoine Bonnet

 

Alors que la tendance des partitions a été pendant tout le XXe siècle à la surcharge d’indications variées, beaucoup de celles de Kurtàg, notamment vocales, sont frappantes par leur extrême dénuement voire leur caractère sommaire. Quant au résultat musical auquel elles peuvent donner lieu, il n’a souvent pas grande chose à voir avec ce à quoi on pourrait s’attendre en s’en tenant à une lecture traditionnelle scrupuleuse. En réalité, les partitions de Kurtàg sont dépouillées, et en ce sens ouvertes, car elles semblent faire confiance au musicien pour réaliser l’intention dont elles témoignent en rapport avec les textes poétiques auxquels elles se réfèrent. Pour cette raison, elles relèvent moins d'une notation, au sens traditionnel, qu'elles ne prescrivent un geste, en liaison avec cette intention dont il s'agit pour le musicien d'avoir une compréhension/intuition d’autant plus fine que le solfège traditionnel n'est plus vraiment en mesure de la transmettre. Délivrée de la quasi objectivité des directives compositionnelles – le fameux « respect du texte » –, le sens de l’interprétation s’infléchit alors et la réalisation effective de l’intention prend une place centrale, au point que l’on peut dire que Kurtàg participe à sa manière de la nécessaire recompositon en cours du rapport entre le compositeur, l’interprète et partant l’auditeur, recomposition dont l'horizon semble moins être le concert, tel qu'hérité de la tradition, que la « performance », même si ce terme, quoique juste stricto sensu, peut prêter à confusion en raison des ambitions pour le moins variées et inégales auxquelles il est attaché désormais. « Performer », plutôt qu’interpréter, voudrait traduire cet infléchissement de l’acte musical, infléchissement dont le Pierrot lunaire de Schoenberg, avec son problématique sprechgesang, peut être vu comme un signe avant-coureur. En cette orientation, on ne saurait bien sûr dissocier partitions et réalisations ; on s’attachera donc à la performance du baryton Kurt Widmer des Hölderlin-Gesänge et de …pas à pas – nulle part…, performance que l’on mettra en perspective avec quelques autres, notamment de Rihm/Salter et – symptomatiquement – Lachenmann/lui-même.

 

 

G. Kurtág : Kafka-Fragmente

 

Antoine Gindt

 

Avant la création du spectacle en 2007, j’écrivais ceci en forme d’interrogation : « Pourquoi et comment saisir ces fragments pour les projeter sur une scène. Une scène qui ne soit pas exactement celle du concert où ils trouvent depuis plus de vingt ans leur place naturelle ? Comment imaginer le théâtre d'un rêve de Kafka, celui que György Kurtág nous livre sans explication. Est-il vrai, comme l'a dit la chanteuse Adrienne Csengery, qu'il « désécrit » sans cesse « l'opéra qui se trouvait en lui ? »

 

Avec Salome Kammer et Caroline Widmann, nous tenterons de créer notre interprétation, dans une sorte de monde parallèle où le fugitif tient une grande place. Une sorte de théâtre inversé où les "images" ne viennent pas forcément du plateau… »

 

Je reviendrai sur les options prises alors et sur l’intimité que le spectacle nous a donnée avec la partition de Kurtág.

 

 

György Kurtág en signes et incidences

 

Benoît Sitzia .

 

Au cours de cette intervention est proposé d’explorer l’incidence de la musique pour quatuor à cordes de György Kurtág sur mon propre quatuor à cordes « Rima II » extrait du Livre des Césures (un cycle pour quintet à cordes et soprano).

 

Pour cela je propose d’aborder la problématique que pose l’écriture d’un quatuor à cordes aujourd’hui. Cette forme hautement symbolique et chargée d’histoire érigée par la période classique comme la formation la plus pure de la musique confronte les jeunes compositeurs d’aujourd’hui à la question de son renouvellement.

 

Les propositions et réponses apportées par Kurtág dans ses 12 Microludes constitueront les principaux axes incidents sur l’écriture de Rima II.

 

Avec des extraits choisis dans ces deux partitions je propose de montrer comment l’étude et la compréhension technique, rhétorique et architecturale de ces œuvres pour quatuor m’ont permis de trouver des solutions et des propositions originales pour ma propre écriture musicale.

 

 

L’interprétation du silence pétrifié chez György Kurtág

 

Grégoire Tosser

 

« [À Paris, en 1957] je commençai à faire de la gymnastique. J’avais toujours été particulièrement peu doué pour cela. J’avais commencé par imiter les exercices que faisaient ma mère [...], mais par la suite, je les perfectionnai à ma manière. Mes mouvements étaient terriblement anguleux, c’était presque une pantomime. J’essayai alors de modifier aussi mon écriture et de la rendre plus anguleuse, plus crispée. » (György Kurtág à Bálint András Varga).

 

L’aspect « anguleux » de la « pantomime » apparaît dans la production fragmentaire de Kurtág, depuis son op. 1 jusqu’aux œuvres les plus récentes. Les mouvements de gymnastique, tendus, nous invitent à penser le paradoxe du mouvement immobile, pétrifié dans son élan même – une sorte de geste interrompu, proche de la crampe. Dans de nombreuses pièces des Játékok, des Signs, Games and Messages, des Kafka-Fragmente, parmi d’autres, le compositeur utilisent le terme « erstarren » pour exprimer la pétrification du chanteur (de la chanteuse) ou de l’instrumentiste, ou pour montrer l’incapacité de la musique à rendre une signification paradoxale du texte. Il est ainsi intéressant de noter que la musique de Kurtág, souvent surchargée d’indications, tient également à guider l’interprétation des silences.

 

 

 

Játékok de György Kurtág : les en(jeux) de l’écoute et de l’interprétation

 

Zelia Chueke

 

Pour l’interprète, l’écoute du matériau sonore accédé à travers la partition engage d’immédiat le geste d’exécution. De ce point de vue, les rapports entre écoute et interprétation peuvent en principe être établis intuitivement, basés dans les diverses associations enregistrées dans la mémoire audio gestuelle de l’interprète. La nouveauté exige pourtant des adaptations ; les gestes musicaux qui pointent vers une direction du discours peuvent sembler familiers dans un premier regard, exigeant ensuite une écoute très attentive, avec des gestes d’exécution plus spécifiques. Chez Kurtág cela se passe davantage au niveau de la sonorité : la richesse de timbres est suggérée par le compositeur de façon minutieuse. Le processus de préparation d’une performance, qui engage simultanément des décisions interprétatives et gestuelles - le jeu - sera illustré dans cette intervention par l’exploration de passages de Játékok.